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by seb - 2009-07-06 01:30
Le marketing politique est décidément une discipline qui ne connaît pas la crise, et doit, comme toute mécanique bien huilée, réserver son lot de rebondissements. Ainsi la franchise gouvernementale Fillon® a été dévoilée il y à dix jours dans sa toute nouvelle mouture, grillant de peu la politesse à Harry Potter.

Comme d'habitude certains héros disparaissent, pas forcément ceux qu'on aurait voulu voir [1] disparaître au demeurant, laissant la place à de nouveaux personnages tous plus inattendus les uns que les autres, venant pimenter l'intrigue.

Trêve de plaisanterie, la nomination de Pierre Lellouche au poste de Secrétaire d'Etat aux affaires Européennes à suscité quelques remous d'ordre communautaires.

À cette occasion, ce qui a fait la hune[2] des journaux [3] [4] [5] ce fut l'inquiétude quasi psychotique que la doctrine française de refus de l'adhésion Turque soit mise à mal par cette nomination.

Car Pierre Lellouche, 58 ans, ancien étudiant à Harvard, grand réformateur, opposé au PACS et à l'ISF, mais partisan de la guerre en Irak et de l'énergie nucléaire, est reconnu pour être systématiquement à contre-courant de l'opinion. Ainsi, alors que la population française est largement hostile à l'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne [6], Pierre Lellouche a naturellement jugé nécessaire d'y être favorable [7].

Mais avant de continuer sur les desiderata français, regardons de plus près comment se déroule un élargissement.

L'adhésion de nouveaux états membres ne se fait pas en remplissant un simple formulaire, c'est un processus lourd qui implique la rédaction d'un traité d'adhésion, négocié au sein du Conseil et soumis pour avis au parlement européen. Comme tout traité il doit ensuite être ratifié par chaque état membre.

Afin d'alléger cette procédure, il est courant de rédiger un seul et unique traité d'adhésion pour plusieurs états à la fois. Ainsi, historiquement, la Grèce est le seul état à être entré seul au sein de l'union, c'était en 1981.

Il y a donc une double exigence d'unanimité au sein des états membres, l'unanimité au moment de la signature du traité, et l'unanimité au moment de sa ratification, qui peut éventuellement donner lieu à u référendum.

C'est [8] le cas par exemple de la France, où l'article 88-5 de la constitution, ajouté en 2005, pose le principe du référendum pour toute nouvelle adhésion d'un état membre. Cette exigence démocratique faisait visiblement grincer des dents rue du Faubourg Saint-Honoré, et il a été ajouté un deuxième alinéa, lors de la révision constitutionnelle de 2008, permettant la ratification d'un traité d'adhésion par les assemblées réunies à Versailles dans ce bon vieux congrès où prévaut la majorité des 3/5e.

On le voit, la nomination de Lellouche et la modification constitutionnelle ont largement ébréché une logique de refus jusqu'alors totale.

Il faut dire que la Turquie n'est pas avare d'efforts pour se faire accepter au sein de l'UE, et elle trouve des partisans de plus en plus nombreux au sein des états membres.

On peut comprendre que la situation géopolitique stratégique de ce pays et la sécurisation des approvisionnements de UE en énergie soient des arguments de poids. C'est en effet bassement pragmatique et mercantile, mais il n'en fallait pas plus pour convaincre le Portugal, la Suède, la Grande-Bretagne et le Luxembourg. En outre, la Turquie présente un autre avantage indéniable du point de vue britannique: celui d'enterrer durablement toute idée d'union politique à l'échelle européenne.

Même la Grèce, d'abord opposée à l'adhésion Turque en raison d'un contentieux récurrent sur la mer Egée, semble avoir radicalement changé de point de vue ces dernières années.

Seulement voilà, la Turquie occupe militairement, de façon récurrente et totalement illégale le territoire d'un état membre: Chypre. Et toutes les subventions, aides, et pressions diverses de l'Union sur les autorités chypriotes ne changeront pas une position naturellement hostile à l'idée de partager la maison commune avec l'envahisseur. Le président de la République de Chypre, Demetris Christofias, a bien évidemment prévu de saboter allègrement les négociations. Il déclarait ainsi à l'agence Reuters, en Février dernier, que la Turquie ne devait pas s'attendre à pouvoir intégrer l'union tant qu'elle maintiendrait sa présence militaire dans la partie nord de l'île.

Les négociations en vue de trouver une solution au conflit chypriote ont beau être en bonne voie, leur issue reste incertaine, et les progrès accomplis très fragiles.

Enfin, quand bien même ces quelques obstacles seraient levés, il resterait la ratification de l'éventuel traité d'adhésion, en tenant compte du fait que la majeure partie de l'opinion publique européenne est opposée à cette adhésion.

Heureusement pour les turcs, et pour Mr Lellouche, la voie référendaire n'est obligatoire dans aucun état-membre, même l'Irlande [9], dont la population est largement hostile à l'adhésion de la Turquie peut ratifier un éventuel traité d'adhésion par une simple loi.

Voilà comment Pierre Lellouche, ami des turcs, se retrouve une fois de plus confronté à son ennemi historique: l'opinion publique.

Avoir raison contre tout le monde est un métier usant et difficile, il a bien du mérite.



[1] Personnellement, j'aurais bien vu Eric Besson ambassadeur au Vatican.
[2] La position secondaire de cette information dans la presse ne saurait justifier le terme de "une", alors qu'une position intermédiaire situé entre la base et le faîte, convient beaucoup mieux.
[3] Le Monde
[4] Les Echos
[5] Eco 89
[6] Sondage LCI
[7] Info-turc.org
[8] Il faut naturellement lire "c'était le cas", il s'agit là d'un effet comique par rupture de la cohérence du texte.
[9] Sondage Irish Times