Je lis souvent le blog de Jean Quatremer.
Quand on est communautariste, c'est une source d'information importante, et avouons-le, il ne faut pas compter sur la presse nationale pour savoir ce qu'il se passe à Bruxelles, ça a beau être important, c'est compliqué et donc ça ne fait pas vendre, alors on évite d'en parler.
Je vais souvent sur ce blog, disais-je, mais j'évite d'y rester trop longtemps.
En effet, si le fond présente souvent un intérêt, la forme, elle, présente de sérieuses lacunes. Ici, avant de parler d'Europe, on parle beaucoup de Jean Quatremer, de ce qui l'intéresse en Europe, de ses opinions, de ce qu'il aime (un peu) et de ce qu'il déteste (beaucoup). On franchit souvent la barriére du journalisme gonzo sans jamais vraiment en sortir.
Le lecteur assidu du blog de
maitre-eolas pourra faire un comparatif rapide. Eolas donne son avis, c'est vrai, il peut lui arriver d'être partial (ce qui est loin d'être
systématique), mais au bout du compte, ses billets sont toujours d'une grande qualité syntaxique, et il naît toujours un débat au sein des commentaires, qu'il ne recadre généralement que d'un simple trait d'esprit.
Mais Eolas n'est pas journaliste. Jean Quatremer,
si.
Avant d'entrer dans les détails, petite visite guidée:
"Les coulisses de Bruxelles" est un blog hébergé par Libération, l'employeur de Jean Quatremer, donc. La mauvaise langue que je suis ne s'empêchera pas de penser que faute d'informer correctement ses lecteurs sur l'actualité européenne, ce journal à voulu s'assurer de remplir autant que possible l'emploi du temps de son salarié en lui confiant une tache à même de justifier que les deniers du sieur
Edouard de Rothschild seraient bien dépensés. On ne peut que saluer une initiative dont ne s'est pas embarrassé, par exemple,
TF1.
On constate dés l'entrée que l'auteur s'est fendu d'une notice liminaire très justement intitulée
"pourquoi ce blog ?" dans laquelle, il fait le triste constat du manque d'information des citoyens sur la chose européenne, et de leur frustration face à des politiques et des médias (dont libération, donc) qui éludent un sujet sur lequel, il faut bien le dire, il ne connaissent souvent
pas grand-chose.
Et de proposer au lecteur de franchir les "portes closes bruxelloises" en sa compagnie et de braquer ses projecteurs sur ces femmes et ces hommes qui "font l'Europe".
Le ton est donné, on va parler d'Europe, et le lecteur en salive d'avance. Il va enfin connaître la différence entre une directive et un règlement, va comprendre pourquoi la procédure de codécision est plus démocratique que la procédure de consultation, il va être sensibilisé à la reconnaissance des droits fondamentaux par la CJCE, et enfin savoir pourquoi la Grande-Bretagne ne fait pas partie de l'espace Schengen contrairement à la Suisse qui, pourtant, ne fait pas partie de l'UE.
Grave erreur.
Car les coulisses de Bruxelles sont au droit communautaire ce que Voici est au monde du spectacle: si vous vouliez embellir votre matinée en prenant connaissance de
l'emploi du temps vespéral de J.M. Barroso, vous serez amplement servi, si vous êtes venu pour du technique, vous vous êtes trompé d'endroit.
L'Union Européenne a beau représenter un ordre juridique inédit, une machinerie passionnante, des rouages complexes, il y aura toujours des sujets plus intéressant à la
caféteria de la commission.
Le droit communautaire, Mr Quatremer s'en moque, à tel point qu'on pourrait le soupçonner de ne pas y comprendre grand-chose (
Il suffit de relever certaines énormités juridiques pour s'en rendre compte).
Et fut-il spécialiste de la question, il préfère la politique, surtout quand ça cogne, ça fait monter son
audimat, et quand on commence à
parler chiffres, là il est
trés content.
Ceux qui lui objecterait qu'en tombant dans une chronique politique de dimension communautaire, en privilégiant ce qui est court, simple et manichéen au détriment de ce qui est technique, compliqué, mais fondamental il a largement loupé son pari de départ risquent fort de déchaîner la bête médiatique.
Acrimed en a fait les frais. Cet observatoire des medias, constitué d'universitaires, de journalistes, et d'usagers, publie des articles de grande qualité sur son propre site, et
avait osé dire que sur la directive Bolkstein, l'auteur des coulisses de Bruxelles avait publié des billets partisans, faisant une lecture très personnelle de la directive, et présentait comme avérées des informations controversées. Le couperet s'abattit sur la tête des impudents quelques jours plus tard, sous la forme d'un billet les qualifiant une bonne fois pour toutes de
"théoriciens du complot". Affirmation sortie de nulle part, mais bon, ici le péremptoire est de rigueur, on vous aura prévenu.
Et là cher lecteur, vous me direz: Si l'on peut contester la pertinence de certains billets, peut-être trouverons nous une ouverture, un salut, une rédemption au sein des commentaires. Et bien non. Car ici le débat est limité, comme souvent, par une audience qui ne fait que s'inscrire dans une moule que le maître des lieux a bien voulu graisser pour elle. Si vous ajoutez à celà les inévitables hardcore nonistes qui quadrillent la place, vous avez un charmant tableau.
Le débat, on l'attend, on l'espère, et à la lecture des premiers commentaires, généralement laudateurs, souvent approximatifs, on sent qu'on s'achemine tout droit vers une cinglante déception.
Et c'est presque toujours le cas.
Car ceux qui commentent un article chez Quatremer, c'est pour lui dire qu'il est génial, qu'il a raison, qu'ils admirent son travail et qu'ils adorent son blog. C'est ça ou conchier cette europe-libérale-et-pas-démocratique-dirigée-par-des-technocrates. Dans les deux cas ça n'avance à rien, mais ça permet au moins au maitre des lieux de se défouler à peu de frais. Car pour lui, diriger le débat consiste à
afficher le plus grand mépris pour les commentateurs. En partant du postulat qu'on a raison sur tout, c'est certainement beaucoup plus simple. Notons tout de même que les meilleures perles nous échappent puisque les commentaires sont modérés a priori
A l'occasion, cette tendance à s'estimer au-dessus de la mêlée peut avoir des avantages, c'est ainsi qu'auréolé de sa seule certitude, Mr Quatremer
déclara, à contre-courant de la presse nationale, que Dominique Strauss-Kahn, tout juste nommé à la tête du FMI, était un incurable coureur de jupons, lui prédisant un triste sort et s'attirant au passage une volée de bois vert. Il fallait oser, il l'a fait, et la suite lui a donné raison.
Car ce qui intéresse Mr Quatremer au fond, ce n'est pas l'information ou la norme juridique, ce qui l'intéresse, c'est l'affrontement et la polémique. Elle guide sa plume comme Junon la flèche d'Ascagne. Il est considéré par beaucoup comme un "blogueurinfluent" (titre honorifique réservé à ceux qui explosent leurs bilan
Google Analytics), il est triste de constater qu'il ne le doit qu’à la quasi-absence de concurrence sur la thématique européenne.
Il a un riche avenir devant lui, aucune épidémie d'europhilie ne pointant le bout de son nez, son exclusivité risque de durer encore longtemps.